État des lieux
La Briche, comme une poupée russe, désigne à la fois un quartier, un site, un lieu artistique et un collectif. Si beaucoup de gens ont entendu parler du collectif ou du quartier, peu connaissent l’histoire, le fonctionnement et la précarité actuelle de cet endroit atypique et étonnant. Bienvenue au 65 rue Paul Eluard, à Saint-Denis !
Histoire
Époque médiévale
A l’époque médiévale, le site de la Briche était encore vierge de toute construction. On y trouvait la confluence de la Seine et de la « Vieille Mer », petite rivière issue d’une vaste zone marécageuse entre Saint-Denis et Stains, qui fut progressivement asséchée et canalisée.
Révolution industrielle
Le canal de Saint-Denis, mis en service en 1821, transforme le site : on y construit l’écluse de la Briche ainsi qu’un quai du même nom. Elle est aujourd'hui la dernière des sept écluses du canal, long de plus de 6km. En contrebas circule toujours le Croult, autre nom d'un des anciens bras de la Vieille Mer, qui deviendra progressivement au cours du siècle industriel un égout à ciel ouvert. Il sera en grande partie couvert au XXe siècle, bien que toujours pollué. Un site de récupération de métaux fut construit en 1910 à l'emplacement de la Briche actuelle. Ces bâtiments, encore debout, constituent un témoignage du passé industriel dyonisien.
L'élément le plus emblématique en est le casse-fonte qui est le dernier de la région parisienne : une tour en acier de 30 mètres de haut permettant de lâcher sur des machines industrielles une masse qui les faisait éclater en morceaux à des fins de recyclage. Cette activité a donné corps à un lieu hétéroclite et étrange aux allures de petit village, constitué de bâtiments divers dont beaucoup de hangars et ateliers, organisés autour de deux grandes cours en enfilade. Cette diversité de construction et cet agencement donne toute sa particularité et sa poésie à la Briche d’aujourd’hui.
Arrivée des brichoux
Depuis plus de 25 ans, des artistes y ont installé leurs ateliers, pour la plupart collectifs et partagés. Parmi les premiers arrivés, le sculpteur Nicolas Cesbron, le menuisier Benjamin Pagard, le métallier Mimo et le sérigraphe Antoine Petit sont toujours actifs sur le site aujourd'hui.
Autour de 2010, une cinquantaine de jeunes artisan·es et artistes s'installent dans les anciens locaux industriels encore inoccupés. Les espaces furent progressivement aménagés et adaptés aux différentes activités.
La Briche elle-même, dans ses espaces extérieurs, fut embellie et entretenue. Au fil des années, le collectif a repeint les façades de couleurs vives, partiellement végétalisé la cour et les toits, installé des espaces de potagers, un verger, un poulailler, des ruches, mis en place une épicerie auto-gérée et nettoyé les berges du canal, embellissant le lieu pas-à -pas, le transformant en un petit havre de paix, interstice dans le bitume environnant.
Le lieu est devenu un véritable écosystème, abritant une grande diversité de savoir-faire : métiers artisanaux (menuiserie, serrurerie-métallerie, sculpture, sérigraphie, bijouterie, feutre, vitrail, coutellerie, électromécanique, ébénisterie, soclage), métiers numériques (graphisme, développement web, photographie, journalisme, modelage numérique), métiers du livre et de l'image (illustration, sérigraphie, gravure, librairie, micro-édition), métiers du spectacle et du cinéma (technique son, lumière, réalisation, vidéo, musique, théâtre, chorégraphie), en passant par l’ostéopathie, la recherche, l’ingénierie et l’architecture... Les propriétaires, appréciant les talents de la Briche, ont maintenu de faibles loyers, offrant un cadre propice à l’émulation artistique et collective.
Les ateliers
Le site étant privé, c’est par l’intermédiaire d’associations que les résident·es louent leurs espaces de travail aux propriétaires actuels. Le Cabinet Patte-Pelue, l’Atelier Delajungle, l’atelier du Droit Fil, le Hangar, l’atelier Ubagang, le Département 99, les ateliers d’Antoine Petit, de Benjamin Pagard et de Nicolas Cesbron, l’atelier du Palace et l’atelier Orcanette, l’atelier du lapin et feu le Ratelier forment l’archipel bâti des ateliers de la Briche.
Chaque atelier dispose d'espaces et de conditions propres, adaptées aux activités qui y ont trouvé leur place : des hangars aux plafonds hauts pour les constructeur·ices de décors, des ateliers plus réduits et des mezzanines pour les sculptrices, des pièces plus confortables et isolées pour le montage son, vidéo, l'électronique, le travail du textile, la recherche ou la musique, un cabinet d'ostéopathie...
Fonctionnement
Constitué·es en 11 associations locataires des différents ateliers et rassemblés sous l’association commune de la Briche Foraine, les travailleurs·euses de la Briche forment un collectif à la gouvernance horizontale, uni par des liens d’amitié et des valeurs partagées. Allant à l’encontre des logiques d’individualisation et de concurrence, le fonctionnement collaboratif de la Briche permet une mutualisation des ressources au sein du lieu et du groupe créant un contexte vertueux : les outils, les machines, les matériaux sont partagés, mais aussi les connaissances techniques et les réseaux.
Du fait de son caractère novateur, porteur d’une vision coopérative du travail et de la création, le collectif a fait l’objet de recherches universitaires et de nombreux articles de presse.
Régulièrement, l’ensemble des résident·es de la Briche mettent leur énergie et leurs savoir-faire en commun pour faire naître et renaître la Briche Foraine, une fête foraine loufoque et originale, fabriquée maison et bénévolement dans les ateliers.
Jusqu’en 2020, toutes les manifestations de la Briche Foraine, l’entretien et le stockage des attractions, furent financées et produites par les brichoux. La mairie de Saint-Denis intervint ponctuellement, pour soutenir la logistique d’accueil du public (électricité, eau, toilettes, sécurité…) lorsque la fête fut implantée dans un espace public de la ville. L'édition 2016 notamment, implantée près du stade de France, ne put avoir lieu que grâce à son soutien qui permit de couvrir entre autres des frais de sécurité très élevés dûs à l'euro 2016.
Jusqu’à ce jour, la construction et l’animation des attractions, le montage et le démontage de la fête, l’organisation et l’accueil du public et des artistes ont été réalisés bénévolement par les brichoux avec l’aide de 100 à 250 bénévoles pour chaque évènement, et l’intervention de 200 artistes comédien·nes, musicien·nes et circassien·nes.
Le lieu lui-même a fonctionné sans aucune subvention jusqu’en 2020. En 2022, Les associations de la Briche Foraine, du 6B et du Chapiteau Rajganawak furent ensemble lauréates de l'appel à projet national "Quartier Culturel Créatif", ce qui fut une marque forte de leur reconnaissance au niveau national. Certains projets spécifiques (entre autres des ateliers participatifs) furent ainsi subventionnés en 2022.
Rayonnement
Depuis plus de 20 ans, les réalisations des artisan·es de la Briche circulent dans le monde entier, répondant aux besoins d’une clientèle très diversifiée : particuliers, collectivités, musées, artistes contemporains, magasins, restaurants, compagnies de théâtre, studios de cinéma, journaux, associations humanitaires...
Un grand nombre d’entreprises privées, publiques et de particuliers du territoire s’appuient au quotidien sur le vivier de compétences de la Briche : réalisation d’attractions, affiche et communication pour la Fête des Tulipes, de mobiliers pour la Foire des Savoir-Faire, la coopérative Pointcarré, le restaurant du théâtre Gérard Philipe, ou pour les Bergers Urbains ; design intérieur pour l’Office du Tourisme, scénographie de Lire au Parc, container-cuisine pour la guinguette associative Mund Gawi…
Artisan·es mais aussi artistes, leurs propres créations sont exposées dans divers institutions en France (Cité de l’Architecture et du Patrimoine, 104, Condition Publique, Puces de Design, Palais de Tokyo, Carreau du Temple, Halle Saint-Pierre…) et à Saint-Denis (galeries ADADA et HCE, Foire des Savoir-Faire, marchés de Noël, coopérative Pointcarré).
Affirmant leur identité commune, ils et elles inaugurent en 2015 leur propre label : “Made In Briche”.
Avenir
Dans le cadre de la rénovation du quartier, le foyer artistique de la Briche se retrouve aujourd’hui au cœur d’enjeux économiques et urbanistiques importants, et sa pérennité est menacée par la destruction de 9 des ateliers existants, dont les résident·es se voient proposer un déménagement dans des hangars non adaptés à leurs activités.
C’est la taille du site, son agencement, l’hétérogénéité de ses espaces et sa situation géographique qui ont permis d’inscrire l’activité et la dynamique du collectif dans la durée. Ce lieu, avec son esthétique et son énergie, a nourri l’univers artistique commun qui a émergé à la Briche et qui est reconnu aujourd’hui nationalement, ainsi que les univers personnels des artistes qui y résident. C’est la rivière qui le longe, la Vieille Mer, qui a inspiré les divinités de la cosmogonie des brichoux, avec ses monstres et ses animaux fantastiques. Ce sont les matériaux trouvés sur place, dans les décombres d’un microcosme industriel, qui ont constitué les corps des personnages de la Parade, spectacle qui cristallise l’univers de la Briche Foraine. Et c’est du ventre de ces bâtiments que ces personnages ressortent chaque année, faisant résonner ce collectif avec le lieu qui l’a accueilli.
Aujourd’hui devenu acteur essentiel du développement du territoire et partie de son identité, le collectif de la Briche souhaite être reconnu dans le processus de transformation du lieu, dans le respect des valeurs qu'il partage et qu'il souhaite à la ville de demain.